Par Fabien RUET
Konia est une dangereuse préfiguration de ce qui pourrait être l’avenir de la Turquie en cas de refus européen de l’adhésion. La tentation islamiste n’y est jamais bien loin.
Sur la route qui nous amène à Konya, nous profitons de la dernière station service à la périphérie de la ville. Ici, l’alcool est encore en vente libre, alors que là-bas, les religieux ont introduit un tel climat qu’un marchand de spiritueux aurait vite fait faillite. Pourtant, à la nuit tombée, l’étrange migration commence, du centre ville à sa banlieue, de Konia à Cognac, comme l’ironie turque baptise ces hypocrites voyages.
Nous reprenons la route, peut-être un peu plus inquiets qu’à l’accoutumée, non pas de ce que nous allons voir, mais de l’attitude que nous allons devoir respecter. Le long de la route, les casernes militaires se font visibles et dissuasive. L’histoire de la République Turque a montré que Konia était un foyer de rébellion islamiste. Gardienne de la révolution kémaliste, l’armée est plus présente que dans le reste du pays. Elle veille à empêcher tout rassemblement où flotterait le drapeau vert. Mais, pourtant quel singulier retournement historique que nous offre cette ville.
Konia fut jadis capitale de l’islam le plus modéré du monde, celui de Mevlana et du soufisme. La mémoire du fondateur de l’ordre des derviches tourneurs imprègne les murs de la Mosquée Mausolée, recouverte de céramique verte. Aujourd’hui, la ville est devenue la capitale de l’islamisme le plus dur. Saisissant résumé que cette visite de jeunes socialistes bergeracois dans une région où le besoin d’Europe reste le seul espoir de liberté face à la tentation de l’intolérance. Alors que dire de cette tombe de Mevlana ? Nous disions que, seule, l’histoire peut réserver de tragiques paradoxes faisant en sorte que ce symbole de tolérance repose sous la garde d’islamistes dont le seul exemple à suivre est l’Iran. A l’inverse, Mevlana Celaleddin Rumi (1207- 1273) enseigna la tolérance, sur la voie du mysticisme soufi. Immense poète au lyrisme incomparable, il était pénétré par la musique. Alors comment ne pas évoquer notre trouble, alors que nous tentons de nous frayer un chemin, parmi les délégations iraniennes, pour nous recueillir un instant.
Nous quittons les lieux, pour regagner, un peu lâchement, cette périphérie. Oublié les regards hostiles et l’étouffante impression de déranger. Au loin, la musique du caravansérail retenti, les derviches entrent en transe et dans cette prière universelle, jamais nous n’avons eu aussi conscience de notre responsabilité européenne à l’égard de ce pays.
Erdogan et le rappel à l’ordre européen.
La question religieuse en politique turque est hypocrite. La Turquie est malheureusement l’illustration d’une tendance qui s’est développée en Occident. Nous avons aujourd’hui à faire à une poussée de la religiosité comme en a témoigné la dernière élection américaine. Le gouvernement d’Erdogan a tenté de revenir sur la législation du mariage et du divorce en Turquie. Les réactions de l’Union Européenne ont été si fermes que le gouvernement a été obligé de reculer, dans sa tentation de pénaliser l’adultère. Or, le projet de loi Turc est déjà en application dans dix états américains. Pour autant que nous sachions, l’Union européenne n’a pas suspendu ses relations politiques avec les Etats-Unis. L’orientation politique du gouvernement Erdogan est très éloignée du socialisme. Pour autant, il ne se distingue guère de la droite bavaroise ou de la droite américaine. Il est libéral sur le plan économique et moral sur le plan de la famille. Nous avons donc une droite turque, peu éloignée de certaines composantes du Parti Populaire Européen, au sein duquel siège l’UMP et l’UDF. Sans l’Europe, le gouvernement turc aurait-il cédé ?