“La prison c’est la privation de la liberté d’aller et de venir et rien d’autre” Ou comment Valéry Giscard d’Estaing met en mots l’utopie pénitentiaire.
Nulle démonstration d’empathie ou marque d’une ouverture quelconque aux centristes d’hier et d’aujourd’hui. Mais l’affirmation de l’ancien Président de la République fait tristement écho aux carences de la Garde des Sceaux dans sa gestion du milieu carcéral.
Prison pour tous
Il est indéniable que se faire le chantre du bien-être des détenus n’attire pas la bienveillance de nos pairs. A fortiori, lorsque le pays tout entier demeure suspendu aux soubresauts d’une crise nationale et internationale.
Il n’est pourtant pas vain de rappeler que la question de l’état des prisons françaises n’est pas l’apanage des seules familles de reclus.
Côtoyer le milieu carcéral peut souvent relever de l’incident de parcours auquel chacun peut être confronté. Un baptême trop arrosé se terminant sur un drame , des élus dont la responsabilité peut être engagée à tout instant, des amitiés se révélant douteuses, des conflits de voisinages qui s’enveniment. L’emprisonnement, bien qu’à l’abri des regards extérieurs, ne constitue pas un événement singulier.
Prisons indignes
La France, se targuant d’être le berceau des droits de l’homme, ne fait pas figure de bonne élève en matière de privation de libertés et de conditions de détention. Madame Dati concédant elle-même le 3 mars dernier que « les prisons françaises n’ont pas toujours été à l’honneur de la France ».
Ces questions demeurent à travers les décennies, sans pour autant appartenir au passé, puisque le bilan ne s’améliore guère.
Outre les conditions d’hygiène désastreuses, l’absence de droits réels de défense quant aux sanctions disciplinaires, les difficultés pour entretenir des relations familiales, et un processus de réintégration que les réalités de la gestion pénitentiaire rendent souvent illusoire, la question centrale demeure la surpopulation. Au 1er mars 2009, les prisons françaises comptaient 62700 détenus pour 52535 places. A la promiscuité imposée, il n’est donc pas surprenant que la violence survienne, contre soi ou les autres.
C’est mathématique: lorsqu’il n’y a que 1000 places au concert de la dernière starlette et que 1500 fans sont dans la salle, il faut s’attendre à subir les odeurs corporelles et coups de coude de ses voisins. Mais étrangement, en matière de manifestations publiques, lorsque le compte est bon, le respect des consignes de sécurité est rigoureux: les portes sont closes.
Toujours plus de suicides
La recrudescence des suicides intra muros constitue le meilleur indicateur de la situation de crise que connaissent le prisons françaises.
La France fait aussi office de mauvais élève européen en la matière. Elle s’est ainsi vue condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme le 16 octobre dernier, pour violation de l’obligation de protection de la vie de ses administrés et non respect de l’interdiction de traitements inhumains. Cet arrêt fait suite à la pendaison d’un détenu établi en cellule disciplinaire et dont le traitement médical n’avait pas fait l’objet d’un suivi adéquat.
Affichant un taux de suicide de 16 pour 10.000 détenus, elle partage les bancs du fond de la classe avec la Slovaquie, le Luxembourg, tandis que la Pologne et l’Espagne tentent de donner l’exemple avec des taux respectifs de 4,7 et 4,8 pour 10.000 sur 2006.
Ces résultats ne sauraient s’améliorer dans la mesure où 2006 tient lieu de « petite année » avec 95 suicides. L’année 2008 fut elle, le théâtre de 118 décès.
Avec 51 suicides dénombrés par l’Observatoire des suicides dans les prisons françaises, soit une augmentation de 31% par rapport à 2008 pour la même période, l’année 2009 semble augurer de beaux records.
Loin de n’être le fait que de grands criminels méphistophéliques, 60% des détenus passant à l’acte sont des prévenus.
Un constat désolant, tant pour ces derniers que pour les victimes. Acte de détresse ultime, ces chiffres dénotent l’écart entre la réalité pénitentiaire et nos concepts juridiques. Qu’en est-il de la préservation de la notion de présomption d’innocence, lorsque 60% des suicides sont le lot de prévenus. Si l’on se plaît à rappeler l’article 9 de la DDHC, lequel indique que « Tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable (…) » soit à l’issue d’un procès public, qu’en reste-t-il lorsque les hommes préfèrent Thanatos à Themis. Qu’en est-il du soulagement des familles de voir proclamée par la société la culpabilité du suspect. Si « Le suicide est un bris de prison » (Victor Hugo), il est en tout cas la démonstration de l’échec de l’Etat, et de l’exécutif actuel, dans la réalisation de ses fonctions régaliennes.
La méforme du Projet de Loi pénitentiaire
Le projet de loi pénitentiaire adopté par le Sénat début mars, qui doit être examiné à l’Assemblée Nationale courant du mois de mai ne relève que du plâtre sur une jambe bois, si ce n’est à certains égards de la scie.
Il devait s’apparenter à une véritable révolution culturelle et juridique source d’évolution de la condition pénitentiaire afin de faire des détenus des sujets de droit évoluant dans un univers régi par un Etat de droit. Force est de constater que le projet soumis aux députés selon la procédure d’urgence fait un peu plus sombrer les prisons dans la nuit noire de l’arbitraire.
Il est certes des avancées à noter. Tel la consécration d’un droit à téléphoner, l’établissement d’une rémunération minimale fixée au smic horaire, la permanence des soins médicaux les soirs et week-ends. Mais comment se réjouir de certaines régressions bientôt entérinées par la majorité présidentielle.
Telles:
- la restriction de la liberté de correspondance, par l’insertion d’un critère de rétention élargi
- l’obligation d’activité de tout détenu
- l’affirmation du principe de prison hors les murs
- le pouvoir pour l’administration pénitentiaire de procéder aux fouilles des cavités internes, contrairement à la procédure actuelle de droit commun qui ne permettait de telles fouilles que dans le cadre d’une procédure judiciaire
- l’instauration de régimes de détention différenciés établis après une période d’observation et l’organisation d’un bilan de santé et de personnalité. Régimes qui ne font l’objet d’aucune définition légale, mais établis sur des critères incertains laissés à l’appréciation de l’administration pénitentiaire. Les bilans de santé sont quant à eux, le premier doigt dans l’engrenage de la remise en cause du droit au secret médical des captifs. Si ce revirement n’est en rien inscrit légalement, la pratique des commissions de partage d’informations au sein des établissements pénitentiaires mènera à elle seule à son étiolement.
Pour le respect du principe de l’encellulement individuel
Avec une surpopulation carcérale de 126% en ce début d’année 2009, qu’il est loin le principe de l’encellulement individuel annoncé en 1875.
Par pragmatisme, des exceptions avaient été introduites.
En 2000, ces dernières furent supprimées, mais l’Etat bénéficia d’un délai de trois années pour s’y conformer: les réalités pratiques. Au terme de ces trois ans, un nouveau report fut concédé: cinq années supplémentaires. Lesquelles se sont achevées le 13 juin dernier. No comment.
Les Règles pénitentiaires européennes, le Conseil économique et social, la Commission nationale consultative des droits de l’homme réaffirment chacun le principe essentiel de l’encellulement individuel, préalable à toute affirmation du respect de la dignité des détenus. Ainsi le Comité européen de prévention de la torture prescrivait en 1991 un minimum de 7m² par détenu, et une circulaire française de 1988 11m² pour deux. Or la pratique démontre la cohabitation de deux, trois voire quatre détenus par cellule de 9m². Quant à l’encellulement individuel, le projet ne modifie rien a priori.
En effet, si lors de sa campagne, ainsi qu’en janvier 2007 en réponse aux Etat généraux des conditions pénitentiaires, Nicolas Sarkozy affirmait son attachement et sa détermination à faire réalité le principe de l’encellulement individuel, les faits sont inverses. Rachida Dati affirmait en effet lors de la présentation du projet de loi « le principe de l’encellulement individuel ne pourra être respecté en 2012 » car « les nouveaux établissements pénitentiaires comportent de manière systématique des cellules collectives ».
Le principe demeure, évanescent, mais après recul du gouvernement.
Lequel proposait dans la version initiale une option: encellulement individuel ou collectif.
Les lieutenants de la majorité faisant ainsi valoir que les Règles pénitentiaires européennes n’imposaient pas l’isolement et la volonté des détenus eux-mêmes de continuer des soirées pyjamas. Pour preuve, depuis l’instauration en 2008 de la procédure de demande de cellule individuelle pour les prévenus, seuls 40 demandes ont été formulées sur 17495 prévenus.
A la première affirmation, il faut opposer que les RPE admettent certes l’encellulement collectif mais de manière occasionnelle, dans l’intérêt du détenu. La règle 18-5, prônant l’isolement, étant la norme à suivre.
A la seconde, les Etats généraux de 2007 ont démontré que 84% des détenus avaient comme premier désir d’être en cellule individuelle. L’absence de demandes tient en réalité à deux facteurs: 1) demander l’isolement est quasiment synonyme d’éloignement de la famille, avocat…2) la procédure est une usine à gaz mettant en moyenne quatre mois pour aboutir. Or, 60% des prévenus sont condamnés après 4 mois et se trouvent dès lors exclus du dispositif. Autant d’aspects peu incitatifs.
Si les textes n’ont pas encore eu raison de l’encellulement individuel, la volonté de l’exécutif de nier, contrairement à ses annonces, toute dignité aux détenus ne saurait favoriser l’émergence d’une prison républicaine.
Le seul espoir de voir introduites les préconisations faites par la commission Canivet en l’an 2000 aux fins de réaliser cette révolution que serait la transformation de l’institution carcérale en un service public régi par l’Etat de droit et faisant du détenu un sujet de droit égal aux hommes non privés de leur liberté d’aller et venir tient entre les mains des députés. Si le Sénat a tenté de combler certaines béances du triste héritage laissé par une ministre en partance, charge à l’Assemblée Nationale de le refuser et de rappeler que l’égalité républicaine vaut aussi bien hors les murs qu’à l’intérieur. Sans illusion.
ML