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Laïcité, une chance turque pour l’Europe

Par Marie LOUBIAT.  

En cette année de célébration du centenaire sur la loi de séparation de l’église et de l’Etat, la perspective d’une adhésion turque permettra sûrement de se sentir moins seul sur la question de la laïcité.

 

La laïcité apparaît lors de l’instauration de la république turque par Mustafa Kemal. La laïcisation radicale engagée dès 1924 entend créer la rupture avec l’empire ottoman, où sultanat et califat sont les fondements d’une confusion entre pouvoir temporel et spirituel.

                                   

Mais les prémices d’un tel principe se faisaient déjà sentir d’une part, par la constitution pluriethnique et multiconfessionnelle de l’empire, nécessitant la coexistence de lois islamiques et impériales et d’autre part par la pénétration des idées européennes au sein des élites ottomanes. Une vague sécularisatrice court sur le XIXe. Selon Bernard Lewis, le monde musulman cherche alors à percer le « secret du pouvoir occidental » qui trouve « son expression intellectuelles dans termes non religieux » sans pour autant renier ses propres traditions.

Les premières réformes ont lieu sous l’impulsion de Selim III et Mahmut II par une réorganisation militaire, juridique et administrative. Ce qui se traduit par un élargissement du champ d’action de l’Etat, et un amoindrissement en ce qui concerne les autorités religieuses.

L’idéal constitutionnaliste porté par les « Jeunes Ottomans » n’est alors pas antireligieux, bien au contraire ceux-ci dénoncent un absolutisme sultanine intrinsèque à la concentration des pouvoirs.

Face à l’impossibilité de restaurer l’autorité impériale, la fin du régime  dominée par Abdul Hamid fait échouer la nouvelle constitution ottomane au profit de 30 ans de despotisme absolu.

 Au début du XXe, les « Jeunes Turcs » adoptent, quant à eux, une vision laïque et positiviste, héritée d’A. Comte et de la Franc-maçonnerie très présente dans les Balkans. Le gouvernement Jeunes-turcs entreprend alors une révolution constitutionnelle en 1908, ayant pour dessein la laïcisation de pays et emmène la Turquie dans la 1ère guerre mondiale aux côtés de l’Allemagne.

Ainsi le domaine d’intervention des tribunaux religieux tend à se réduire, tandis que la centralisation, la modernisation et l’occidentalisation de l’administration et de la société sont entamées.

L’année 1923, est le théâtre de la prise du pouvoir par Mustafa Kemal, inscrivant définitivement la civilisation turque dans la modernité et l’adoption du modèle européen. Notamment via la notion de laïcité, traduite par « lâiklik ». Le califat aboli, une nouvelle constitution régit le pays. Celle-ci fait état du caractère islamique de la religion de l’Etat turc mais ce dernier disparaît de la norme suprême en 1937 alors même que les principes du kémalisme s’y trouvent tous intégrés, à savoir : la République, le progressisme, le populisme, l’étatisme, le nationalisme et le laïcisme.

 

La Turquie devient le premier Etat laïque du monde musulman.

Mais le sens de laïcité revêt une autre forme d’organisation des relations politiques et spirituelles. En effet, Etat et religion ne sont point scindés. L’Etat turc exerce de facto un contrôle sur l’Islam national par des moyens juridiques tels la Direction des Affaires religieuses, rattachée au Premier Ministre, qui nomme et révoque les imams, supervise la parution des ouvrages spirituels, contrôle la forme et les lieux de pratique religieuse, interdisant les confréries religieuses.  Ce contrôle s’exerce aussi par l’instauration du code civil (suisse) en 1926, qui régit désormais la vie religieuse, la vie familiale, donne un statut aux femmes ; réduisant le champ d’influence des croyances.

Il ne s’agit par conséquent pas de séparation de l’Eglise et de l’Etat au sens français, mais d’un contrôle strict de l’Eglise par l’Etat. Le Kémalisme avait pour entreprise de fonder l’Etat turc unifié. Pour cela nombres de réformes se sont inspirées des mœurs européennes : intégration de l’alphabet latin, prière en turc et non plus en arabe, adoption du calendrier chrétien, réformes vestimentaires, dissolution des écoles religieuses. Autant de mesures qui dévoilent la diffusion d’un laïcisme de combat au sein d’une société non préparée à de tels bouleversements. Ainsi cette modification profonde de l’esprit du pays sera diversement acceptée par les différentes couches sociales : les urbains, les, classes moyennes, les militaires et habitants de l’Ouest y étant plus enclins.La difficulté de survivance du kémalisme réside dans l’absence de base sociale originelle. Bien que le culte du « père des turcs » demeure, l’entreprise politique est quant à elle parfois mise à mal.

Ainsi assiste-t-on à une transformation du système politique après la 1ère guerre mondiale. Dès 1946, s’établit une démocratie parlementaire pluraliste. En 1950 le parti kémaliste perd les élections pour laisser place au parti démocrate de Bayar et Menderes. Le gouvernement démocrate entame alors  un assouplissement de la laïcité (prière en arabe, éducation religieuse dans les écoles publiques, assouplissement des réformes vestimentaires, tolérance de la polygamie). Pourrait-on dès lors considérer cette nouvelle laïcité comme plus ouverte ou plus tolérante ?

Le 27 mai 1960, élites et universitaires perpètrent un « coup d’état progressiste ». L’armée prend alors le pouvoir de 1960 à 1966 puis de 1980 à 1983. A cette date est instauré un gouvernement civil. La sauvegarde de l’Etat laïc par l’intervention de l’armée impose une reprise en main musclée et une limitation des libertés. On peut alors faire un constat inverse aux conceptions classique  du maintien du principe laïc : la laïcité ne saurait subsister en Turquie sans l’attention et le secours de l’armée, tandis que la démocratie induirait nécessairement un retour au spirituel ?

L’Etat turc contemporain est un compromis entre Islam et modernité. La laïcité kémaliste est défendue par les partis de gauche, par l’armée. Tandis que les partis conservateurs de centre droit font référence au « principe de laïcité » tout en s’appuyant sur la symbolique religieuse. Les Chiites et Lévites quant à eux, prônent une laïcité tolérante. Seuls les partis du Refa, du Salut national ont fonction tribunicienne des contestations de la laïcité. Compromis qui n’est pas exempt de tensions entre principes laïcistes réaffirmés par l’armée et aspirations à un retour du religieux. Ainsi un arrêt a récemment annulé un amendement visant à abroger l’interdiction du port du voile au sein des universités.

De plus, la fonction publique, autrefois bastion kémaliste tend à être envahie par des nouveaux agents issus des facultés théologiques et lycées religieux financés par l’Etat. Une entorse à la laïcité dans le milieu scolaire a été faite en 1982, en rétablissant des cours d’instruction religieuse (différents selon les religions) auxquels les élèves sont obligés de s’inscrire selon leur religion. Des mesures administratives et législatives, favorables au retour d’une place prépondérante de l’Islam sur la scène turque, se développent régulièrement, source d’affrontement entre Islam radical et laïcité. Le succès du parti islamique AKP aux municipales de mars 1994 à Ankara et Istanbul est le révélateur de ce phénomène. Si la démocratie est ici, comme dit précédemment, intrinsèquement liée aux résurgences spirituelles sur la scène politique et publique, l’entrée dans l’Union européenne serait un modérateur sûr, évitant tout replis et effet table rase du principe de laïcité.

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