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  • Les jeunes socialistes de la Dordogne

La Turquie et l’Europe Chrétienne.

Par Fabien RUET

 

Etonnante position que celle du Vatican quant à la demande d’adhésion de la Turquie, à l’Union Européenne. Le rappel aux fondements chrétiens de l’Europe a de quoi décontenancer dès lors qu’il émane de représentants d’un monothéisme à vocation universelle. Même à considérer, au-delà de nos convictions laïques, nos racines judéo-chrétiennes, force est de constater que la Turquie n’est pas éloignée de notre bassin de civilisation. La position du Vatican serait donc une posture politique dont la lignée historique peut se retrouver au cœur même des relations internationales sous François Ier et Soliman le magnifique.

Dire que la chute de Constantinople fut un traumatisme pour les chrétiens est un doux euphémisme. Elle consacrait aussi la déchéance de l’évêque de Constantinople, égal de l’évêque de Rome. Le retour de la Turquie en Europe est l’occasion d’un rappel à l’ordre de nos lointaines origines communes, au sein de l’Empire.

Il n’est pas possible de nier l’importance géostratégique de la Turquie dans la culture judéo-chrétienne.  Ainsi, il est possible de remonter à l’ancien Testament pour trouver le Tigre et l’Euphrate comme fleuves de l’Eden. Formidable enjeu que de considérer la Turquie comme notre berceau ! C’est encore l’Euphrate qui permettra le passage des forces de l’Enfer avant la dernière bataille de l’Armageddon. Que dire des descendants de Noé qui, depuis le Mont Ararat, peupleront ces terres. La Turquie n’échappe pas à ses références bibliques ; elle n’évite pas davantage  ses Saints illustres. Le nom de Saint Paul, de par ses nombreux voyages, est si étroitement lié à l’Anatolie qu’ils sont indissociables. C’est au cœur même de cette contrée que le christianisme s’expurge de ses racines judaïques, pour s’ouvrir à la masse des païens.

Par ailleurs, les conciles œcuméniques furent l’occasion d’affrontements idéologiques à la hauteur de l’importance des dogmes qu’ils devaient entériner. Il en fut, ainsi, du  premier concile de Nicée, en 325, affirmant une même substance au Père et au Fils. Le concile de Constantinople de 381 consacra l’élévation de l’évêque de Constantinople au rang de celui de Rome. L’Eglise d’Occident, dont Rome aspire encore aujourd’hui au monopole, était représentée par les deux villes. Cet ancrage se confirmera tout au long des conciles suivants. Celui d’Ephèse, en 431, en reste une marque significative : avec l’opposition entre Cyrille et Nestorius, entre Alexandrie et Antioche, entre monophysistes et duophysistes.

Dès lors, le rejet Turc, au nom de la préservation de la pureté d’un socle identitaire européen, relève, au mieux, de la méconnaissance historique, au pire, d’un calcul très politique. Il n’est pas étonnant de retrouver la démocratie chrétienne en  pointe dans ce combat contre l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne, relayée par la position du Vatican. Cette position de défense excessive de l’identité européenne, ayant les valeurs chrétiennes pour trait distinctif, puise ses origines dans cette Europe à la veille de l’Epoque Moderne. Hier comme aujourd’hui, la France était en pointe sur ce sujet. François Ier avait du ménager ses alliances.  Pour contrebalancer l’influence de Charles Quint, à la tête de l’Empire où le soleil ne se couchait jamais, le roi de France se livra à une alliance jugée  « contre nature » :  Soliman le Magnifique. Il s’émancipait, un peu plus, de la tutelle du Pape. A partir de cette époque, une très riche littérature, en Espagne et en France, se développe sur les Turcs, leur empire, leur religion et leurs coutumes.

Nous sommes donc fondés à parler d’exacerbation des peurs en parlant du traitement de certains quant à l’adhésion de la Turquie.

Nous sommes donc fondés à pouvoir dénoncer ceux qui considèrent cette adhésion comme « contre nature », sur le terrain même de leurs arguments.

La frilosité, le consensualisme mou érigé en doctrine politique, n’ont pas leur place dans un débat aussi crucial.

La Turquie fait reculer nos frontières. Elle nous amène à réfléchir sur l’identité même de le l’appartenance à l’Europe. Offense suprême à notre laïcité, n’hésitons pas à suivre les traces de Saint Paul, à rechercher l’Eden, à faire de la question turque une invitation à la remise en cause des frontières, à considérer l’ensemble du bassin méditerranéen comme notre bassin de vie. La mondialisation a brouillé nos repères. Le réflexe du repli sur soi peut se comprendre. Cependant, la stratégie de la forteresse n’est plus adaptée à des relations internationales mises en porte à faux par l’insécurité terroriste. La Turquie est une formidable leçon de tolérance à mener contre nous-même. Au-delà d’une synthèse contre nature, cette adhésion souhaitable est l’occasion de transfigurer le projet Européen, où la tolérance l’emporterait sur l’exacerbation des différences. L’œcuménisme d’hier serait dépassé par cette Europe pacifiée, lumière modeste du monde parce que, seule, capable d’apporter un modèle alternatif de vivre ensemble. 

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