Par Fabien Ruet
Hatasiz dost arayan dostsuz kalir.
(qui cherche un ami sans défaut reste sans ami)
Une chronique consacrée à un numéro spécial est un exercice particulier. Elle est supposée aller à l’essentiel en tenant compte de la ligne éditoriale assignée au numéro. Ne tournons pas autour du sujet et répondons de suite à la question qui vous taraude, à priori. Et bien, oui, nous sommes favorables à l’adhésion de la Turquie, d’un oui bien différent des positionnements apparatchiks qui cherchent toujours à trouver le consensus, là où une bataille de convictions et d’engouements doit être menée. Ce oui est un formidable défi intellectuel pour notre génération qui a assisté à la mise en place de l’Europe des marchands et à sa traduction constitutionnelle. Le projet européen est en panne. Répondre à la question de l’adhésion turque est un excellent moyen d’imposer la réflexion indispensable et initiale à tout projet de relance de la construction européenne.
La Turquie est une ambition européenne parce que sa demande d’adhésion nous interroge quant à la définition que nous devons donner à la nationalité européenne. Notre identité commune est à construire. Nous ne pensons pas qu’elle puisse se bâtir sur un illusoire droit du sang. En d’autres temps, aurions-nous du renoncer à l’Alsace et la Lorraine ? Au contraire, nous pouvons ressusciter notre conception généreuse et réaliste de l’identité : nous sommes européens parce que nous le voulons.
En la matière, plus qu’aucun autre pays membre, la Turquie moderne s’est construite sur la base de cette appartenance européenne. La droite française a beau jeu de s’abriter derrière la théorie des barrières naturelles. Sa petitesse intellectuelle en la matière n’a pour contrepartie que la trop grande discrétion d’une sociale démocratie, elle-même, en quête d’identité. Au pays de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’arrivée de la Turquie est une bonne nouvelle, il n’est pas surprenant qu’elle fasse frémir la démocratie chrétienne qui, par son intitulé même, est une atteinte à notre laïcité. Pour autant, nous encourageons la Turquie à affronter son histoire pour pouvoir espérer une adhésion à l’Union Européenne.
Faisons un peu de politique-fiction. Plaçons la France en pays candidat à l’adhésion. Serait-il acceptable que ce pays puisse clamer haut et fort à l’Assemblée Nationale l’aspect positif de sa colonisation dans le monde ? Combien nous a-t-il fallu de temps pour faire voter les femmes ? Jusqu’en 1981, l’homosexualité était un délit en France, le pays pratiquait la peine de mort. Il nous a fallu près de 50 ans pour reconnaître notre responsabilité dans le génocide juif. Nous avons la mémoire courte sur notre propre passé. Nous profitons de notre statut particulier de membre fondateur de l’Union pour imposer aux autres des exigences de moralité historique dont nous sommes bien éloignés.
Au contraire, la réflexion que nous souhaitons engager autour de l’adhésion turque doit être une manière de nous concentrer, ensemble, sur notre passé commun. Aider la Turquie à reconnaître ses responsabilités, c’est nous conduire à faire une introspection, à bâtir cette Europe de la fraternité entre les peuples, cette Europe de la paix, cette Europe dont nous avons tant besoin dans le contexte international actuel.
S’il devait y avoir un fameux plan B, gageons qu’il puisse s’engager sur les pistes de travail que nous esquissons ensemble.